Comment expliquer qu’à force de manger beaucoup de pain, on finisse par avoir de la brioche ?
Pierre Dac – Les pensées (1972)
Après l’enchainement des festins traditionnels de Noël et du jour de l’an, nous voyons fleurir dans les magazines, articles de presse, réseaux sociaux et émissions de télévision des recettes de cures détox, de tisanes drainantes et digestives et de repas allégés pour se remettre des excès des quinze derniers jours …
Beaucoup d’entre-nous, armés de bonnes résolutions pour cette nouvelle année, ont décidé que promis, on va faire attention à ce que l’on va manger et enfin on va se mettre au sport! Bon, tout ça c’est sans compter les galettes des rois qui garnissent les vitrines de nos boulangeries préférées ou les rayons de nos supermarchés! Et impossible de se réfugier derrière l’argument gustatif, car il existe des galettes pour tous les goûts… A la frangipane, briochées aux fruits confits, aux pralines,… Chacun peut y trouver son compte .
Alors pourquoi après avoir passé une semaine à se consacrer à retrouver la forme nous abandonnons nos premières résolutions de l’année pour céder à la tentation? Parce c’est une tradition séculaire et qu’il faut perpétuer les traditions de nos aïeux… Et puis parce que c’est trop bon bien sûr !
La coutume veut que l’on « tire les rois » à l’Épiphanie : une fève est cachée dans la galette et la personne qui obtient cette fève devient le roi (ou la reine) de la journée et a le droit de porter une couronne de fantaisie puis choisit sa reine (ou son roi) .
Origines de la célébration
Cette dégustation fait partie des célébrations autour du solstice d’hiver appelées saturnales à l’époque romaine, propices aux divinations. Chaque famille romaine procédait à la désignation d’un roi d’un jour parmi ses esclaves, et qui durant cette unique journée pouvait prendre la place des maîtres et faire ce que bon lui semblait (les Saturnales étaient en effet une fête d’inversion des rôles afin de déjouer les jours néfastes de Saturne) . La désignation de ce roi d’un jour se déroulait lors d’un banquet et une fève dissimulée dans un gâteau était utilisée comme “bulletin de vote”. La fève fait partie des symboles de ces saturnales car c’est le premier légume qui pousse au printemps. Surtout, ce légume contient un embryon. En « vieillissant », il donne la vie. La fève est très importante, notamment chez les Grecs (elle contenait l’âme des morts selon les pythagoriciens) et les Romains . Après avoir bien profité de cette journée, l’heureux élu, au mieux, reprenait sa condition d’esclave, au pire était sacrifié !
Le partage de la galette est également associé à la célébration des rois mages lors de l’Épiphanie dans l’univers chrétien . Cependant luthériens, calvinistes et certains catholiques se sont opposés à cette coutume païenne qui n’approuvait pas le côté festif de la galette .
La suite de l’histoire, quant à elle, nous explique que l’usage voulait que l’on partage une galette en autant de parts que de convives, plus une appelée “part du bon Dieu” ou “part du pauvre” destinée au premier pauvre qui venait à frapper à la porte . Au Moyen-âge, les grands procédaient quelquefois à la nomination d’un roi du festin, dont ils s’amusaient pendant le repas . Au fil des siècles la coutume est restée et son histoire s’est adaptée à l’époque.
La coutume du « roi boit » a été attestée dès le XIVe siècle. Et « tirer un roi » était commun dès le Moyen-Âge, le 5 janvier . Normalement, celui qui trouvait la fève devait payer sa tournée à la tablée . Certains prétendent que les plus avares avalaient la fève afin de ne pas débourser d’argent . C’est ainsi que serait née la fève en porcelaine, pour que le « roi » craigne de l’avaler !
Dès le XVe siècle sont apparues des couronnes en plomb et étain sur lesquelles étaient notés le nom des Mages et dessinées des fleurs de lys. Or elles ne servaient pas pour « le roi boit ». En fait, elles protégeaient les pèlerins et voyageurs, à l’image des rois mages, leurs (saints) patrons . Sous la Révolution française, hors de question d’élire un roi ! Cependant, pas question de ne pas partager de gâteau non plus . Est donc née la « galette de la Liberté » ou « de l’égalité », sans fève ni roi . C’est sur ce principe qu’est célébrée au palais de l’Élysée la galette des rois, depuis Valéry Giscard d’Estaing .
Les fèves
En 1875 apparaissent les fèves en porcelaine de Saxe . En 1913, celles des ateliers de Limoges . Au début, il s’agissait de poupées, puis de baigneurs, puis de bébés emmaillotés, toujours dans l’idée de respecter ce signe de fécondité . Ont suivi des symboles de chance et des animaux . Au début du XXe siècle, un Monsieur Lion lance une fève en forme de lune avec au dos le nom et l’adresse de son commerce . La première fève publicitaire est née …
En 1960, les premières fèves en plastique apparaissent . Moins chères, elles prennent le pas sur la porcelaine . Bien sûr, il y a eu des santons, qui permettaient de recréer une crèche. Puis dans les années 1980-1990, on trouve des fèves métalliques, principalement dorées (dont certaines à l’or fin). Cependant, le chauffage des galettes dans les fours à micro-ondes a entraîné certains déboires et les fèves métalliques ont presque entièrement disparu . C’est dans cette même période que l’ère du dessin animé et de la bande dessinée a commencé à envahir une grande partie du marché actuel de la fève . De nos jours, il n’y a quasiment plus aucun lien avec la crèche mais on assiste au retour des fèves en porcelaine qui font la joie des fabophiles. Certains peuvent avoir des collections énormes (près de 100 000 fèves, voire plus) et quelques-uns vivent en permanence en déplacement, de vide-greniers en bourses ou salons . Il serait cependant illusoire de croire pouvoir posséder toutes les fèves. En effet, chaque année il en sort de 4 000 à 5 000 nouvelles . Beaucoup de fabophiles finissent souvent par se spécialiser sur quelques thèmes bien précis .
Une grande variété de gâteaux
Dans la plus grande partie de la France, la galette des Rois est originellement une galette à base de pâte feuilletée, simplement dorée au four et mangée accompagnée de confitures . Elle peut également être fourrée avec diverses préparations : frangipane, fruits, crèmes, chocolat, compote de pommes… Dans le Sud de la France, on sert en revanche le gâteau des rois, une brioche aux fruits confits en forme de couronne parfumée à la fleur d’oranger, préférée à la galette en pâte feuilletée, péjorativement appelée « parisienne » . Le royaume de France se partageait alors en Langue d’oc où l’on fabriquait toujours un gâteau des rois (la recette de la pâte variant suivant les régions : « flamusse » de Bresse, « patissous » du Périgord, « coque des rois » ariégeoise, « royaume » de Montpellier et des Cévennes, « garfou » du Béarn, « goumeau » de Franche-Comté, etc.) et langue d’oïl où l’on préparait dès le xve siècle un dessert de pâte sablée fourré de crème d’amandes qui devient plus tard une pâte levée à la levure de bière nommée « gorenflot » . On trouve aussi des galettes à base de pâte sablée dans l’Ouest .
La tradition aujourd’hui
Un sondage et plusieurs études ont été réalisés en France en 2014 : entre 85 et 97% des français (selon les différentes études) mangent pour :
- 70 % une galette à la pâte feuilletée et à la frangipane, surtout dans le Nord et dans toute la France
- 11 % une galette à base de brioche, principalement dans le Sud
- 8 % une galette à la pâte feuilletée et à la pomme.
9 % en consomment plus de cinq. Et 68 % trichent pour donner la fève aux plus jeunes!
Alors à vos galettes, prêts, mangez !